Quel est l’avenir de la ZLECAf?

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a été lancée au sommet de l’Union africaine de Niamey en 2019, avec les objectifs ambitieux de faire croître le commerce intra-africain et de changer le visage de l’Afrique en créant les conditions de son industrialisation et de la libéralisation de son économie. La ZLECAf devait débuter officiellement le 1er juillet 2020, mais la pandémie de COVID-19 a imposé aux Etats africains un retard de démarrage de la Zone de libre-échange continentale africaine. Qu’est-ce que cela signifie pour la ZLECAf et quelles seraient les conséquences sur le continent africain? Nous abordons ce sujet avec M. Magor MBAYÉ, Premier conseiller au sein de la Mission permanente de la République du Sénégal auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève. Les opinions exprimées dans le présent entretien sont personnelles et n’engagent que leur auteur et ne sont pas nécessairement représentatives de celles de l’Organisation à laquelle il appartient.

1. Dans quelle mesure les pays africains devraient-ils être inquiets du report de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)?

La crise sanitaire qui frappe actuellement le monde a des conséquences négatives sur de nombreux pays, sur le plan de la santé, mais également économique. Ces conséquences sont également ressenties en Afrique, qui a enregistré plus tardivement l’arrivée de la COVID-19. Au 6 avril 2020, l’OMS indiquait que 50 pays africains étaient touchés. Sur le plan des conséquences sanitaires l’Afrique n’a pas connu la catastrophe prédit par de nombreux experts. Cependant, l’économie des pays africains fait face au choc dû au mesures prises pour lutter contre la maladie. Les conséquences sur les marchés de l’emploi, les conditions de vie des ménages.

Les PME qui emploient de nombreux africains, notamment dans l’informel, et qui sont les moteurs sur lesquels la ZLECAf a particulièrement fondé sa stratégie sont particulièrement exposées à l’impact économique de la COVID-19 en raison de ressources financières et d’une capacité d’emprunt limitées, et à cause de leur présence disproportionnée dans des secteurs économiques touchés par les mesures de distanciation sociale et la perturbation des transports. Les MPME sont aussi particulièrement exposées aux restrictions commerciales visant les produits agricoles.

La CEA estime qu’avec la crise sanitaire, la croissance africaine chutera de moitié, passant de 3,2%, à 1,8%. Selon des prévisions plus pessimistes de l’UA, la croissance pourrait même se chiffrer à 0,22%. Avec une grande incertitude sur l’évolution de la ZLECAf dont le lancement, initialement prévu 1er juillet 2020 a été annoncée repoussée à cause de la pandémie de COVID-19.

Par conséquent, les sujets d’inquiétudes portent sur la santé financière des entreprises africaines qui seront durement touchées, particulièrement avec le ralentissement de leurs activités. Le souci porte aussi sur l’impossibilité de respecter les délais fixés par les Chefs d’Etat et de gouvernement pour le lancement des activités commerciales dont le lancement officiel de la zone devait être l’élément marquant.

Les Etats signataires et l’UA travaillent cependant à amoindrir les conséquences de la maladie sur les économies à travers des initiatives avec différents partenaires comme la BAD, la BID…

Des mesures pour l’après COVID-19 sont également préconisées toujours en collaboration avec les partenaires financiers. 

2. Quelles seraient les conséquences du report de la mise en œuvre de la ZLECAf sur le continent africain?

Le report de la mise en œuvre de la ZLECAf crée une certaine incertitude. Comme indiqué précédemment, les délais fixés par les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA seront difficilement respectés. Mais aussi, les activités commerciales. La phase opérationnelle devait comprendre la poursuite de la mise en des organes d’appui à la mise en œuvre de la ZLECAf, notamment les sous-comités, le recrutement et les transferts dans le cadre du secrétariat de la ZLECAf. Il faut également souligner qu’il était prévu des instruments opérationnels pour la mise en œuvre de négociations en ligne: projet Mansa et plateforme de paiement et de règlement numérique, la mise sur pied de l’observatoire africain du commerce (ATO), le mécanisme sur le barrières non-tarifaires (BNT) et enfin la mise en place des Groupes de Travail Techniques sur l’investissement, la politique de la concurrence et les droits de propriété intellectuelle pour la seconde phase des négociations. Il est évident que le calendrier initialement établi pour ces différentes phases, connaîtra des perturbations pour ne pas dire des retards. Le secrétariat de la ZLECAf devra trouver les moyens de dérouler le plan qui lui a été donné comme feuille de route.

3. La ZLECAf vise à unir 1,3 milliard de personnes, créant un bloc économique de 3,4 billions de dollars qui pourrait inaugurer une nouvelle ère de développement. La ZLECAf répondra-t-il à ces attentes, en particulier dans les conditions actuelles?

Dans un certain sens, la crise aura certainement des conséquences négatives sur les prévisions faites, particulièrement sur le bénéfice attendu de la zone de libre-échange africaine. La baisse importante de la croissance prévue, entrainera pendant un certain temps des réactions qui pourraient nuire à la structure mise en place au niveau continental. Néanmoins, les Etats membres ne devraient pas perdre de vue le potentiel important de la zone et les bénéfices qu’elle pourrait procurer à terme. Il sera important que l’UA trouve les moyens de rendre effective la ZLECAf. Ainsi, l’Afrique pourrait être en mesure de concurrencer de grandes puissances, pour ne pas les nommer.

4. En raison de la pandémie du COVID-19, l’OMC prévoit que le commerce pourrait baisser de 13% en 2020, dans le scénario le plus optimiste. La mise en œuvre de la ZLECAf atténuerait-elle ces prévisions?

La crise sanitaire qui frappe le monde, mais aussi l’Afrique, offre l’opportunité de repenser certains aspects des options de développement. L’accent sera à coup sûr mis sur les éléments tirés des leçons de cette crise. L’effectivité de la mise en œuvre de la ZLECAf pourrait permettre d’atténuer, à moyen et long terme, certains effets de la maladie.

5. Les effets durables du virus sur les économies mondiales et africaines étant encore inconnus, la ZLECAf présente-t-il toujours une opportunité de mieux connecter le continent et d’améliorer le commerce intérieur ?

La ZLECAf demeure une opportunité pour le continent. Il s’agit là d’une occasion à saisir pour des réformes qui permettront de renforcer l’intégration et booster le commerce intra-africain d’ici 2035. Cale permettra aussi de sortir de la pauvreté des dizaines de millions de personnes sur le continent. La banque mondiale estime ce chiffre à plus de 30 millions de personnes. La crise sanitaire retardera certes la mise en œuvre de la ZLECAf, mais elle ne constituera pas la fin de cet ambitieux projet.

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